
La circulation fluviale est intense, le vacarme permanent, et la zone en proie à la pollution atmosphérique.
En effet à Rouen, le fleuve traverse une cuvette formée par des collines et des coteaux. Les vents d’ouest diffusent les fumées des établissements industriels et de la navigation. L’eau charrie les déchets de l’industrie, parmi lesquels des hydrocarbures.
De plus, Rouen se trouvant dans l’estuaire de Seine, les forts courants et l’évolution du niveau d’eau au gré des marées rendent l’aménagement des berges difficile et menacent les installations de fortune.
Le fleuve y multiplie ses méandres, ce qui le rend plus inhospitalier qu’en amont.
Sa température moyenne est trop basse pour la baignade en dehors des mois d’été.
Le besoin de continuer à pratiquer la natation toute l’année aboutit à la construction de la piscine Gambetta en 1935.
À partir de 1934, l’association Rouen qui Nage propose une installation sportive qui s’émancipe des contraintes du fleuve. Ses adhérents peuvent nager dans un grand chaland, relié au bord par des passerelles, qui constitue un bassin étanche dont l’eau, captée dans la Seine, se réchauffe au soleil. Cela permet d’étendre la période d’utilisation à quatre mois, de juin à septembre.
Avec cette installation, on commence à s’affranchir des contraintes de la nage en eau vive et on se rapproche du modèle du bassin artificiel.
Aux yeux des dirigeants des associations rouennaises, les compétitions présentent plusieurs avantages dont ceux d’attirer de nouveaux sportifs et de remplir les caisses. Le succès des épreuves des Jeux olympiques de Paris de 1900 et de 1924, qui se sont déroulées dans la Seine, l’ont montré.
Mais lors des fêtes nautiques que le CNAR organise en 1928, le résultat des différentes épreuves de tremplin et de haut vol est sans appel : les sportifs locaux ne sont pas à la hauteur des champions parisiens qui remportent tous les prix.
Photogramme tiré du film "Sports pêcheurs", Robert Dasché, 1930
Cette différence de niveau entre les deux catégories d’athlètes révèle que les équipements implantés en bords de Seine ne permettent pas d’atteindre le niveau des nageurs bénéficiant pour s'entraîner (toute l’année) de piscines modernes.
De plus, les fédérations tendent à la standardisation des espaces de courses et d'accueil du public.
Mais le souhait d’équiper Rouen d’un tel outil va au-delà de ces considérations comme l’exprime ce témoignage d’un nageur du Groupe des Touristes Rouennais, qui se félicite de l’annonce de sa construction en 1935 :
« La piscine après laquelle des générations de nageurs ont attendu, est achevée ou presque… Bientôt, nous l’espérons, le public y sera admis, et désormais nous pourrons nous livrer aux joies de la natation sans être contraints d’aller ensuite prendre une douche afin de nous débarrasser du mazout qui souillait notre peau, comme c’était trop souvent le cas après les bains pris en Seine ». Études Normandes, 61e année, n°2, 2012. Sport et territoire en Normandie.
Rouen, devenue radicale-socialiste, cherche dans les années 1930 à établir une certaine équité sociale pour éviter la sectorisation du sport dans les quartiers aisés. La ville décide que la piscine Gambetta sera implantée dans le quartier populaire de Martainville.
Signes des temps, la piscine est synonyme de modernité et d’hygiène. Son bassin est chauffé et relié au réseau de distribution d’eau de la ville.
On ne plonge plus ni ne nage dans la Seine. Même si les installations d’eau vive ne sont pas abandonnées du jour au lendemain, la concurrence de la piscine les rend vite obsolètes. C’est la fin d’une époque.
En effet, à l’instar des Bains Villers, la collaboration entre les associations sportives et les commerces d’équipements subit pleinement cette délocalisation de la pratique.
Après la Seconde Guerre mondiale, les quais ont été rehaussés et dédiés à la circulation automobile, coupant ainsi le lien entre le fleuve et la ville.
Les nageurs elbeuviens devront attendre 1963 pour avoir leur piscine et s’affranchir à leur tour ? des eaux vives.
Photogramme tiré du film "Inauguration de la piscine d'Elbeuf" Maurice Lehucher, 1963
Le canotage à la voile ou à la rame se pratique désormais davantage sur le littoral, ou dans les bases de loisirs et de plein air comme les anciennes ballastières mises en eau à la périphérie des villes, au début des années 1980.
A partir de 1964, une compétition de motonautisme d’endurance est organisée par le Rouen Yacht Club le premier week end de mai. La course tournait autour de l'île Lacroix et les concurrents devaient effectuer le plus de distance en 24 heures.
Malgré son succès populaire, cette course soulevait de nombreuses critiques dans la population : nuisance sonores, coût financier élevé pour la collectivité, dangerosité, problématiques écologiques…
L’épreuve est définitivement supprimée en 2022.
Photogramme tiré du film "Les 24 heures motonautique de Rouen", Hervé Anseaume, 1971
Depuis, la fin des années 1990, Rouen cherche à « reconquérir son fleuve » et repense l’aménagement des quais en espaces urbains dédiés notamment à la promenade, aux sports, au nautisme…
“ (...) Mais la Seine s’en balance
Elle n’a pas de soucis
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et s’en va vers Le Havre
Et s’en va vers la mer
En passant comme un rêve (...)” - Jacques Prévert "Chanson de la Seine" - spectacles Gallimard - 1951.
Références :
Études Normandes, 61e année, n°2, 2012. Sport et territoire en Normandie.
https://www.persee.fr/doc/etnor_0014-2158_2012_num_61_2_1873 Frédéric DELAIVE (Docteur en histoire contemporaine après avoir soutenu en 2003 à l’Université du Panthéon-Sorbonne une thèse intitulée Canotage et canotiers de la Seine, genèse du premier loisir moderne à Paris et dans ses environs (1800-1860))
https://journals.openedition.org/vertigo/12068
(La reconstruction de Rouen à l'épreuve du temps [archive], Patrice Pusateri, in Études normandes, 47e année, no 1, 1998.)
https://journals.openedition.org/vertigo/12068?lang=en#tocto1n2